Texte de Jacques Rancière – Partage du sensible p.35 ed. La Fabrique
“C’est au sein du régime mimétique de l’art que l’ancien s’oppose au moderne. Dans le régime esthétique de l’art, le futur de l’art, son écart avec le présent du non-art, ne cesse de remettre en scène le passé.
Ceux qui exaltent ou dénoncent la “tradition du nouveau” oublient en effet que celle-ci a pour strict complément la “nouveauté de la tradition”. Le régime esthétique des arts n’a pas commencé avec des décisions de rupture artistique. Il a commencé avec des décisions de réinterprétation de ce que fait ou ce qui fait l’art.”
Pour en découdre avec le mode de lecture historique de l’art à partir du triplet passé, présent, futur, Rancière parle de réinterprétation du passé dans le présent.
Qu’est-ce alors que la ré-interprétation, puisque notre article précédent fait une critique du vintage dans le design ?
Pour y répondre, il faut se tourner vers les grands “interprètes” de la tradition philosophique. Et plus particulièrement vers le concept Nietzschéo-Deleuzien de devenir.
Un devenir n’est pas historique, du moins il est trans-historique et en ceci, il est événement dans la mesure où il peut traverser une civilisation et émerger dans une autre, traverser une époque et resurgir dans une autre qui ne lui est pas forcément concomitante. Mais surtout, et Deleuze insiste sur ce point, le devenir n’est pas imitation car il crée plutôt un rapport. Le fameux devenir animal n’est pas imitation d’un animal, mais re-création dans un rapport de nécessité entre deux entités qui empruntent la force animale ou le style animal. Le devenir n’est pas un théâtre, et s’il est nécessité, il est plutôt signe qu’image. On devient animal pour vivre.
Cette acception du devenir nous donne donc une précision sur l’exploitation du vintage dans le design d’aujourd’hui. Il apparaît en effet que d’une part ce type de design-graphique imite voire singe le passé et d’autre part qu’il esquive tout rapport de nécessité. Le design a trop d’obligations, notamment celle de plaire pour s’astreindre aux nécessités vitales. Dès lors, en quoi le design aide-t-il à vivre même si c’est pour plaire ?