Féminin

Blue Velvet

La maman ou la putain ?

Après avoir trouvé une oreille coupée dans un champ en bordure de bois, Jeffrey Beaumont entreprend une enquête, en compagnie de sa nouvelle petite amie Sandy qui lui sert aussi de confidente. Ses premières recherches le mènent à une femme mystérieuse, belle et mélancolique nommée Dorothy Vallens. Celle-ci se produit tous les soirs dans un club un peu miteux de la ville où elle chante la chanson « Bleu velvet ».
Pour en savoir plus, Jeffrey décide de s’introduire dans l’appartement de Dorothy. Surpris par le retour inopiné de cette dernière, il se cache dans une penderie, il l’épie et la voit nue.
Lorsque le jeune homme est en passe de réaliser ce fantasme ultime, David Lynch fait intervenir dans la scène, un personnage angoissant et violent prénommé Frank. Sous le regard médusé de Jeffrey, Frank abuse de Dorothy avec un désir tellement puissant qu’il semble lui-même dépassé.
En effet, Frank porte un masque à oxygène pendant qu’il demande à Dorothy de lui montrer son sexe. L’artifice ne suffisant pas, il la bat, il l’insulte pour tirer une pénible jouissance, scandé de grognements régressifs « maman !», « putain !», « Bébé veut baiser !»…
Le jeu électrique de Dennis Hopper transforme l’audace de Jeffrey en simple effronterie et le remet vertement à sa place, au fond de sa penderie. C’est une rude découverte pour le jeune homme que le monde abscons des adultes. Comme l’écrivait Gilles Deleuze dans son Sacher-Masoch : « Du corps à l’œuvre d’art, de l’œuvre d’art aux idées, il y a toute une ascension qui doit se faire à coups de fouet ». Pris au piège de sa propre enquête, Jeffrey découvre l’insoutenable vérité du désir, celle précisément qui sépare la jeunesse de l’âge adulte. Il ne fallait pas s’approcher si près de Dorothy. À travers ces quatre personnages, Blue Velvet tente de décrire scrupuleusement le passage de l’amour abstrait, idéal (Jeffrey + Sandy), à l’économie réelle du désir (Frank / Dorothy). Dans le premier cas, il y a une égalité des amants face à l’amour, dans le deuxième, les choses se compliquent pour le dire simplement.
Entre sa relation avec Sandy, ses devoirs filiaux (la boutique de son père), et sa rencontre avec le monde de Dorothy, Jeffrey se fait submerger par des pulsions qu’il ne contrôle pas. Les siennes d’abord et celles des autres ensuite. Cette capacité du cinéma à rendre compte des rapports d’aliénation entre les personnages, David Lynch en fait l’atout de son film. Comme le disait Lacan « le désir, c’est le désir de l’Autre », et Blue velvet est l’histoire de ce désir là.

C’est sans ménagement donc que Jeffrey prend une leçon, c’est sans égard du fait de son jeune âge qu’il en apprend sur la sexualité. Est-ce que le désir suffit à l’amour ? Est-ce que dans l’amour, l’objet est forcément la condition de l’autre ? Est-ce que le désir procède toujours de l’aliénation ? Souffrance, jouissance – putain et mère – Peur ou amour. Tout s’enchaîne en quelques jours dans la tête de Jeffrey qui, désemparé, s’accroche à Sandy, une fille bien et de « bonne famille ».

C’est parce que Blue Velvet a l’ambition de faire le point sur le désir qu’il se dégage du film, un sentiment de chaos. Pour ce faire David Lynch tente de suivre le mouvement des pulsions qui semble passer d’un personnage à l’autre. Le désir n’a pas de nom propre, de sorte que la relation perverse de Dorothy et Frank par exemple, est déjà présente chez Sandy et Jeffrey. Cet amour naissant que le cinéaste filme d’ailleurs avec une naïveté un peu forcée, obéit déjà à des puissances obscures. Sandy : « Je ne sais pas si tu es curieux ou pervers » — Jeffrey : « Je ne sais pas à toi de faire le choix ».
Symétriquement lorsque le mal s’abat de façon si spectaculaire sur la pauvre Dorothy, son rôle de mère crée un effet de surprise. Si Frank joue l’enfant durant ses séances de soumission sexuelle, c’est au détriment du fils de Dorothy qu’il a séquestré. Entre la traînée et la mère éplorée, le personnage de Dorothy fait basculer le film de la pornographie à la tragédie, tandis que Frank en revanche, joue sur des registres à la fois terrifiant et comique.
Pour terminer cette galerie de personnages grands-guignols — la fin du film est à ce titre significative — il faut évoquer la figure du père qui est traité tout au long du film avec un flou artistique, tout en retenu, en retrait de l’intrigue. Le père de Jeffrey d’abord qui finit paralysé à cause d’une sorte d’accident vasculaire, puis le mari de Dorothy, séquestré à son tour par le terrible Frank. Dans un des plans les plus frémissants du film, David Lynch rend compte de cette absence du père, autrement dit du mari, par un travelling avant sur la porte qui le renferme. Absence confirmée en toute fin de film lorsque Dorothy retrouve son enfant dans une sorte de happy end édulcoré. À trop insister sur cette occultation du père/mari le film forme l’expression d’une impuissance masculine. Cette hypothèse se vérifie concrètement sur le plan physique (la paralysie du père de Jeffrey), le plan symbolique (l’absence et l’occultation du mari, suggéré par son oreille coupée) et enfin le plan sexuel (Frank qui peine à jouir, jouit-il vraiment ?). Certes cette condition masculine profite à la jeunesse de Jeffrey, mais elle met surtout en valeur la féminité pleine et entière de Dorothy.
Comme dans la plupart de ses films, de Blue Velvet à Inland Empire, David Lynch fait de la femme un sujet majeur de sa production, l’argument principal de ses intrigues. « Qui a tué Laura Palmer ? »

David Lynch et Isabella Rossellini sur le plateau de Blue Velvet en 1985

Si Twin Peaks aborde entre autres thèmes, l’amour père/fille avec une tournure des plus sordides, dans Blue Velvet en revanche, ce n’est pas tant l’amour infini que Dorothy porte à son enfant qui prime, mais précisément son statut de femme/mère. Pour le dire plus franchement le film joue sur la confusion dérangeante entre mère et putain telle qu’elle se présente théoriquement aux hommes. Comment comprendre à ce propos, la chanson « In dreams » de Roy Orbisson, cette drôle de berceuse qui marque la B.O du film ? À qui s’adresse ces paroles : à la mère ou à l’amoureuse ? Si c’est à la première, quelle déclaration d’amour ! Si c’est à la seconde, quelle naïveté d’enfant !
Que toute mère soit en même temps un objet sexuel s’abaissant aux plus vils désirs, voilà qui n’est pas sans poser problème à la quête de jouissance. Voilà qui ne va pas de soi dans la formation du désir. Si bien des mythes comme celui de la Vierge Marie, apportent une réponse à cette anomalie, Blue Velvet au contraire entretient le doute quant à l’ambivalence constitutive de la nature féminine. Mais les grosses ficelles de l’immaculée conception sont-elles suffisante, à en juger le succès culturel de la psychanalyse au XXème siècle et au cinéma particulièrement ? Même si le catholicisme entend consolider la foi chrétienne en plaçant la mère au centre du mystère et à l’origine de l’Événement, Marie n’est pas l’unique femme. Et La femme n’est pas l’unique Marie, il y en a une autre, une deuxième. Non seulement leur loyauté les unit jusqu’au bout de la Passion, mais surtout partant d’elles deux, c’est la dualité du concept féminin qui s’énonce. Entre la mère-vierge et la prostituée-sainte se produit une réconciliation entre le pur et l’impur. Grâce à ce tour de force, le catholicisme préserve la chaîne du désir de la peur œdipienne, aussi bien celle de rencontrer la mère que celle de la fuir. Cet attention à l’égard du désir fait du catholicisme une religion foncièrement érotique. Ainsi préfèrera-t-on à toute mère le statut de sainte et à toute femme celui de putain qui dans l’ordre sacré n’est pas discriminant. Le sexe peut être une voie vers la sainteté puisque dans tous les cas de l’imaginaire catholique, voire chrétien, la mère est vierge et l’enfant n’est pas sexuel. Breaking the wave de Lars Von Trier explore cette possibilité de manière magistrale. Après un terrible accident sur une plate-forme pétrolière, un jeune ouvrier, à l’article de la mort, exige de sa femme qu’elle refasse sa vie sans plus attendre. Par loyauté et par désespoir, la jeune femme qui exécute le vœu de son mari, s’engage dans un don de soi absolu qui finit par mettre sa vie en jeu.
À son chevet chaque jour, elle lui rapporte ses aventures sexuelles. Mais contre tout attente, l’état de santé du blessé s’améliore, il pourra remarcher. Pour sa femme Bess, en revanche le mal est fait car elle meurt dans des conditions tragiques abandonnée de tous.
À la fin de Blue Velvet, c’est tout autre chose, rien ne se résout malgré le rétablissement de la situation de Dorothy Vallens. La scène des retrouvailles avec son fils est filmée de manière tellement irréelle, comme un rêve naïf, qu’aucun spectateur averti ne pourrait sérieusement croire en ce dénouement. Le film s’achève donc avec le sentiment qu’un problème demeure. Du reste, Lynch filme ce qu’il pense : le culte de l’amour idéal, le mythe de la mère-vierge, il n’y croit pas, ni à celui de la sainte-putain d’ailleurs, si bien que dans son film le péril œdipienne reste une menace inéluctable, la seule réalité plausible.
L’apparition d’Isabella Rossellini entièrement nue, dans la rue, n’est pas seulement une des images fortes du film, elle est surtout un acte manifeste du projet cinématographique de David Lynch. Blue Velvet est en effet le premier film d’une longue série qui propose de mettre à nu le statut de la femme, d’apercevoir cette dualité féminine, quitte à ce que cette nudité se manifeste physiquement. L’autopsie de Laura Palmer qui ouvre Twin Peaks est à ce titre significative, la reprise par Lynch de l’archétype hitchcockien de la brune et de la blonde, le fantôme de Marilyn, et tant d’autres modalités d’exploration de la femme qui s’achèvent dans Inland Empire. Sur cette période qui s’étale des années 80 au début des années 2000, il était temps en somme qu’un cinéaste rende aux femmes ce qu’elles ont tant sacrifié à la machine de production hollywoodienne.


Idéalisme féminin

« La femme est une idée (non une nature) » Roland Barthes dans L’empire des signes

Les femmes sont sexuellement idéalistes !
La manière dont les femmes traitent leur charme et leur beauté est totalement dirigée vers un modèle, une forme idéale, dont la presse et la mode notamment, dictent les règles.

C’est là, à cet endroit qu’il y a méprise, car pour les hommes, le charme, la beauté, c’est du réel, c’est plus cru, c’est dionysiaque en termes esthétiques. Un parfum, une courbe, une couleur, c’est du sexe.

L’intérêt pour une femme exhibant ses jambes en mini jupe, ça n’est pas d’exciter le mâle, mais c’est de coller au plus près à un idéal de beauté, ou pour les plus bigotes d’entre-elles, à une image de la beauté véhiculée par la mode. La femme s’excite toujours elle-même avant d’être excitée par un mâle. Du moins l’homme doit accepter un rôle tiers dans le cycle de la jouissance féminine.
C’est pour cette raison qu’avant de manifester ses envies, l’homme doit d’abord flatter l’exploit comme pour reconnaître la peine que la femme s’est donnée dans ce travail de l’idéal. Hormis un hypothétique accomplissement sexuel fugace, un enfantement, l’homme tire peu de bénéfice de ses louanges, car elles sont sans fin. Que sait-on du dieu de la femme ? Une idée, une structure sans doute, c’est-à-dire une « forme vide » comme l’écrivait parfois Barthes.

Et c’est comme ça qu’elle se sent belle, la femme, en collant à une image, un ailleurs féminin. « Agile et noble, avec sa jambe de statue. » Pour citer Baudelaire
Par conséquent, une femme, une belle femme surtout, est toujours une autre femme. La femme comme toujours Autre, telle que Lacan pouvait l’entendre.

Sa beauté en ce sens n’est pas sauvage, ni abstraite ; elle est sociale puisque la femme ose exposer cette quête d’idéal en public. La rivalité entre toutes les femmes, s’il en est une, se situe sur ce terrain de la performance, c’est leur sport. Les hommes suivent le sport, pauvres bougres, quand les femmes en font toujours.
Et à ce jeu, l’homme pour elles n’est juste qu’un indice ou au mieux l’arbitre de leur réussite. Avant de jouir les femmes se pensent jouir. Est-ce ainsi qu’il faut entendre la formule de Lacan dans L’angoisse ? « La jouissance de la femme est en elle-même et ne se conjoint pas à l’Autre. »

Il y a donc une disjonction entre la manière dont les femmes vivent leur charme et la manière dont les hommes le perçoivent.
Là, où il y a du sexe pour eux, dans un corsage, une paire de jambe ou encore chez Baudelaire “une main fastueuse”, ne se réalise en fait pour elles, qu’une quête naïve vers l’idéal de beauté. Donc, mettre sa main dans un décolleté ou dans une jupe, messieurs, même si ça fait envie, ça n’est rien comprendre à la spiritualité féminine. Quand elles sont sexy ça n’est pas pour vous, mais pour leur dieu féminin qu’elles honorent à coup de maquillage, de parfum et autres artifices. C’est en ce sens qu’il faut comprendre la démarche des femmes dites « libérées » ou encore des féministes qui accordent pourtant toujours autant de crédits à la cosmétique. Elles le doivent malgré tout, au risque du paradoxe. Être libre revient à s’aliéner alors, à un ordre supérieur, une différence cruciale.

Pourtant plus la femme tend vers son idéal, plus les hommes la perçoivent comme un bien de consommation, c’est le paradoxe de la bimbo. Cet idéal est un véritable miroir aux alouettes qui laisse croire aux femmes (les plus naïves d’entre-elles certainement), que leur sexualité est l’unique voie pour atteindre l’absolu féminin, mais c’est sans compter que ce moyen (le sex appeal) est aussi celui qui stimule les hommes, celui par lequel ceux-là (tout aussi naïfs d’ailleurs), croient parvenir à leurs fins.
La nudité d’une épaule (Ingres), la rondeur d’un genoux (Rohmer), le bout de chair dont parlait Barthes, sont source de bien des malentendus, car non messieurs ! Ces dames ne sont pas à consommer, ou du moins pas comme vous vous en persuadez. Les peintres l’avaient compris lorsqu’ils associaient la femme et la représentation de l’idéalité. Pour eux, il n’y a pas mieux que ce corps pour rendre visible cela. D’où la difficulté toujours de démêler la misogynie du culte, le mépris de l’amour fou, face à l’impossible. C’est le stade Baudelairien de la féminité ; Baudelaire, poète tout aussi éperdu que cruel envers les femmes.

Photogramme – Le Mépris de J.L Godard

Une rencontre sous l’ordre du charme est donc toujours un malentendu. Quand l’homme croit séduire le sexe féminin, la femme, elle, valide une performance esthétique et sociale.
Et réciproquement, quand la femme se sent séduite, c’est pour autre chose que ce qu’elle désire elle-même, autre chose que cette image idéale qui fait son œuvre. “L’amour c’est donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas.” selon les termes de Lacan.
Comme sous l’ancien régime, quand les femmes sont au théâtre, les hommes chassent. Ce constat fait, il est à craindre que la femme ne jouisse pas pour les mêmes raisons que l’homme. Autrement dit, c’est sur ce malentendu que se fait le pari d’une entente amoureuse.


Foulards

Si le foulard est un choix comme semble le reconnaître la plupart des femmes qui le porte en France, il se fait au détriment du contexte. Même s’il est difficile de prouver que la France et l’Europe ne sont pas le contexte du foulard sans faire un peu d’histoire, et la coutume est de tordre l’histoire comme du bois vert, il suffit en revanche de s’en remettre à la valeur statistique du foulard en France pour y voir plus clair. Il en ressort manifestement que le port du foulard musulman n’y est pas majoritaire, loin s’en faut. Le foulard vaut à peine plus qu’une figure sur un fond. Trop important pour être marginal et trop marginal pour être majoritaire, le foulard est souvent désigné par la presse comme un signe minoritaire. Et la minorité a son importance en politique. À ce titre, l’exotisme musulman n’est pas nouveau en France. Il a toujours servi depuis le XIXème siècle au moins, de faire-valoir à l’identité culturelle française. Le musulman est ce dehors dont l’histoire de France n’a jamais pu se passer pour constituer son dedans. La guerre contre l’empire arabe au VIIIème siècle n’était qu’un prélude à cette tension dialectique, aujourd’hui assurée par les banlieues.
Si la question du foulard revient sans cesse dans les débats comme un traumatisme que la société française ne parvient jamais à surmonter, c’est pour des raisons d’abord politiques plus que pour des problèmes de mœurs. Quand le foulard se distingue dialectiquement d’un contexte c’est parce que le contexte ici est une manière de désigner la majorité. La question politique que suscite le foulard tient surtout au caractère ambiguë des termes en jeu. Que sont le foulard et son contexte et que nous enseigne le rapport fond/figure à ce sujet ? Cette question invite à faire une première observation. Si le contexte est majoritaire, il n’est pas unique pour autant, et symétriquement, bien que minoritaire le foulard n’est pas moins équivoque. De ces deux paradoxes mis face à face, il faut tirer une certaine méthode d’analyse.
D’un point de vue stylistique, le port du foulard montre peu d’homogénéité. Entre les femmes qui le portent autour de la tête, sur la tête, sur le visage, sur la bouche, autour du visage, autour du cou, sur le front, avec un nœud ou sans nœud, avec des perles ou des motifs, ou bien uni, noir,… Il semble à l’examen que le phénomène du foulard se manifeste diversement. Toutes ces nuances sont la preuve que le foulard est autant l’expression d’une fantaisie individuelle que d’un mouvement collectif et communautaire. Du moins, peut-on formuler l’hypothèse qu’une marge d’expression libre et individuelle a pu se développer dans le champ social, sur les restes d’une transcendance persistant comme un vague horizon spirituel. Les femmes musulmanes témoignent d’ailleurs, qu’il y a plusieurs foulards comme il y a plusieurs manières de le porter. Si le foulard n’a rien d’un uniforme et s’il est un mode d’expression parmi d’autres, n’est-il pas dans ce cas à considérer d’abord comme un signe, un de plus qui fait le jeu d’une manière ou d’une autre de l’idéologie capitaliste ? Il faut en effet reconnaître ici ce principe qui donne libre cours à l’individu dans le champ des signes. Foulard, iphone, Adidas, tels sont les accessoires de la jeune femme des quartiers populaires. Comme si le signifiant vestimentaire contentait l’individu et comme si en retour le signifiant individu rendait des comptes au sujet. Bien que cette chaîne de signifiant ne soit pas une garantie, l’esthétique minoritaire a de l’avenir dans nos sociétés capitalistes.
Dans cette « mascarade » que la France a notamment tendance à prendre trop au sérieux, la communauté n’est qu’un prétexte pour que s’épanouissent des choix individuels comme c’est la règle d’ailleurs dans le monde occidental. « Choisis ton métier, ta religion, ton lieu de vie ! – sois créatif ! –  » tels sont les mots d’ordre. D’ailleurs les femmes musulmanes profitent généralement de tout, des marques de sport, de la mode haut de gamme ou des pacotilles, comme du foulard. Mais encore, des téléphones portables, du maquillage, des bijoux, bref elles n’en sont pas à un gadget près, et le foulard avec… N’est-ce pas un des principes du discours que d’être incohérent, versatile, délirant ? Quoi qu’il en soit, dans cette lutte des signes, le contexte et ses effets sont hors-jeu. En effet, il n’y a pas de fond sur lequel luttent ces figures. Un foulard, un t-shirt, un piercing, tout se vaut, selon le principe de tolérance en vigueur dans nos démocraties. Chacun est à même de choisir ses accessoires comme de choisir sa religion. La conversion est un effet de l’époque qui se substitue au baptême de principe tant que croire est une question de signe. La conversion est un choix. C’est donc de la conviction dont témoigne le signe du foulard plutôt qu’une appartenance communautaire. Croire que l’on croit et faire croire que l’on croit, indique avant tout que rien n’est sûr. Or cette incertitude qui se présente visage masqué n’est pas une pure perte.
En fait les signes de l’Islam en France témoignent d’une incertitude qui profite au narcissisme et au culte de l’individu tout autant qu’à l’Islam lui-même. Le signe cache toujours quelque chose en même temps qu’il montre, et le signe du foulard certainement plus d’une. Comprendre le signe, c’est donc le situer dans un champ de forces qui pose les conditions de son intelligibilité. Comme l’astronome, le risque est de se contenter d’observer seulement le croissant de lune, sans voir le cercle, puis la sphère, puis tout le système. Les signes les plus manifestes ont leurs angles morts, et ce sont ceux-là mêmes qui font l’effet d’un symptôme dans le champ sociale.

Dès lors comment expliquer une telle défiance en France, pour un signe de si peu de consistance ? Faut-il y voir une réaction plus essentielle que la peur du religieux ou la peur du jeune ? Dans le cas du foulard, le scandale est moins une affaire de valeur que de politique dans la mesure où lorsque la France réagit contre le foulard, c’est pour constater une inexorable aliénation. Peu importe le tissus et sa forme, le foulard est d’abord le symptôme d’une frayeur. Celle de la dépendance de la Nation à l’altérité, à la figure de l’autre que le maghrébin avec ou sans foulard a toujours bon dos d’assurer. Il est vrai que le foulard sert de marche-pied à une politique qui peine depuis la fin des grandes guerres à constituer un nous. Le signe du foulard n’est pas seulement l’autre, mais l’autre comme condition de soi. Telles sont les raisons profondes qui sous-tendent l’esclandre.
À ce jeu de signes intenses, c’est le contexte qui perd au change. Le paradigme du tableau classique où la figure se détache du fond comme un St François de Giotto, n’est plus représentatif de la société contemporaine qui préfère démultiplier les figures. L’époque est à la saturation de l’espace public d’une multiplicité de signes. Le modèle multiculturel des démocraties libérales rappelle les villes d’Inde où cohabitent tant bien que mal tous les contrastes. La peinture classique laisse place au tapis d’Agra.

L’histoire est peut-être celle d’un mouvement qui dirige toutes les formes vers un fond, se dissolvant pour ainsi dire en bruit. Ce sont les arts qui ont la capacité de vérifier une telle hypothèse.

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