Politique

De la décision

Villani-Macron / Bolsonaro-Trump, où placer le curseur de la raison dans l’offre politique ?
Quant aux uns, il est prêté une super intelligence et aux autres une image de super abrutis, rien ne semble aujourd’hui échapper aux travers du culte de la personnalité.
De cette confusion politique se dégage une tendance plus lourde qui touche aux fondements de la démocratie dans la mesure où la question de l’intelligence telle qu’elle se pose alors quitte la dimension collective, comme si la politique et en l’occurrence l’art de la décision n’était plus qu’une affaire de personne.
Si l’exercice de la politique, c’est l’art de la bonne décision sous l’effet de la contradiction, qui osera contredire Villani, Obama, et inversement est-il recommandable de discuter avec un abruti autoritaire ? L’un dans l’autre, c’est le projet d’une matrice de décision collective qui se trouve lésé. En somme, les figures de l’intelligence et de la bêtise incarnées en politique préparent le terrain de l’intelligence artificielle, celle-ci même qui se structure sur les mathématiques, celle-ci même privée de sensibilité, de grandeur et d’esprit. Cette lamentable promotion de la politique spectacle profitera donc à terme à la cybernétique. Intelligence artificielle vs intelligence collective : Un enjeu politique ou la politique mise en jeu.


Qu’importe si c’est un « peuple » ou un expert qui décide !
Le problème avec la décision, c’est de croire qu’elle est définitive et que ses effets sont contrôlés. Or une décision est pleine de virtualité. Ce qui importe donc dans la décision, ce n’est pas ce qu’on choisit ou du moins pas seulement, mais le fait de choisir simplement. Autrement dit le moment du choix fait la décision.
Quand une décision est prise, personne n’y comprend rien, un peu comme le Brexit par exemple, fruit d’une pure décision, le référendum. Si la décision n’apparaît jamais pleine et entière, si elle demande d’être comprise, voire réécrite, c’est que comme l’écrivait Derrida, on décide toujours de l’indécidable. Du reste on ne décide pas. Cette condition détermine l’importance de l’après-décision plutôt que la décision elle-même.


Opinion

L’opinion oscille toujours entre les petites différences et l’universel et par conséquent l’individu n’arrive jamais à appréhender les deux en même temps, c’est soit l’un, soit l’autre comme un mouvement de paupière. Le vase de Rubin illustre parfaitement cette impossibilité de tenir simultanément une opinion sur quelqu’un ou quelque chose selon ces deux points de vue : l’universel et la différence.

C’est soit l’un, soit l’autre, soit l’un après l’autre. Je ne peux m’empêcher de voir un prisonnier ou un homme. Un handicapé ou un homme. Cette fonction gestalt, illustre bien la manière dont chacun ne maîtrise pas son discours notamment dans les discussions de café. « Je n’aime pas les arabes, sauf toi ! T’es pas pareil ! »
Comme l’avait compris Lacan, ce sont les discours qui nous maîtrisent plutôt que l’inverse. Et cela de manière Gestalt en un certain sens. Rien n’est plus fausse qu’une opinion malgré sa consistance quand rien n’est plus vrai qu’un paradoxe malgré son inconsistance.

Avoir une opinion, c’est-à-dire se situer, prendre tel ou tel parti, c’est se persuader d’un discours comme d’un salut.

L’opinion, c’est être convaincu de sa mauvaise foi. Arrêter tout savoir.

Il n’est pas possible de communiquer et de penser en même temps, c’est-à-dire réinterroger les termes que l’on met en jeu dans son discours, décortiquer les mots. Cela suppose une certaine solitude et sans doute de la sollicitude. Une mise en réflexion lente et solitaire. D’où l’impossibilité de penser comme il se doit à la télévision…


Ric : Référendum d’initiative citoyenne

Le Ric au fond a toutes les qualités requises de la start-up nation. Si le Ric permet à chaque citoyen de donner son avis sur de nombreux sujets, c’est dans un contexte social aujourd’hui numérisé qu’elle a toutes ses chances d’émerger. Cependant mettre tous ses espoirs politiques dans le Ric, c’est oublier que l’ennemi du peuple n’est pas simplement son principe de représentativité, c’est-à-dire ses élus.
L’opinion et son appareillage médiatique posent également un problème à la démocratie et leurs effets ne feront que s’amplifier avec le Ric. Le défaut de l’opinion est souvent caractérisé par un manque de science et de rigueur intellectuelle. Pire l’opinion des uns a tendance à se forger sur l’opinion des autres comme une rumeur se répand. Le caractère relationnel de l’opinion, sa nature sociale se vérifie par cette capacité à faire participer tout le monde, il y a contagion quasi unanime de l’opinion. Est-ce cela qui fait un peuple ? Et les usagers du Ric s’y retrouveront-ils finalement ?

Chez Platon où l’opinion est largement discutée dans le Gorgias, Socrate reproche à la rhétorique de tout savoir sur tout. « Le but de la rhétorique n’est pas la vérité mais la conviction.« 
Or c’est justement l’opinion qui adhère à ce type de savoir. C’est un savoir à peu de frais que l’opinion, contrairement à ce qu’exige la connaissance. L’opinion n’engage pas le sujet.
À l’origine du projet démocratique l’opinion s’impose donc comme une difficulté. Or celle-ci ne trouve pas de meilleure illustration aujourd’hui que le référendum, dont les résultats aboutissent souvent à des équivoques toujours problématiques. Le référendum de 2005 pour la constitution européenne en est l’exemple. Il semble que la gouvernance participative dont se réclame bon nombre d’acteurs du nouveau management contemporain, de la Stuart-up nation de Macron se s’accommode des problèmes de la démocratie plutôt que de ses réussites. On sait aujourd’hui qu’un référendum équivoque peut-être contourné, ce sera peut-être le cas du Brexit. On sait aussi que l’opinion en phase de référendum fait l’objet de nombreuses manipulations.

On oppose souvent la dictature à la démocratie, or l’ennemie de la démocratie est la démocratie elle même.
Il n’y a pas de solutions, mais il y a des vérités.


Minorité

Tout type de pensée antisociale qui met à bas un mode de « vivre ensemble » élaboré, complexe et historique, devient douteux. Tout mouvement qui prétend changer les codes sur le ton de la vérité est comique parce que généralement, elle propose une nouvelle norme (de plus). Si tout mérite d’être débattu, rien ne mérite de se battre car toutes les valeurs se valent en leur récit propre.
À ce sujet, il faut rappeler la manière dont Lacan définit tout sujet, comme pris dans les discours. Collectifs et individus n’ont pas la maîtrise de leur discours, tout signe compris…
Dès lors, la politique des minorités menée depuis 30 ans est aussi dommageable que la politique majoritaire que dénonçaient en leur temps Deleuze et Guattari. Elle finit en effet par se montrer anti-sociale sans le vouloir. Ce que provoquent les mouvements minoritaires, c’est un déplacement de la norme. Mais sous ces gesticulations sociétales demeure l’inégalité fondamentale produite par le capitalisme.
Par exemple quand les homos revendiquent des droits et les obtiennent au point d’établir une nouvelle norme, c’est toujours au détriment d’une autre minorité. Parce qu’il n’y a pas de société sans un dehors, c’est-à-dire sans une minorité établie qui la borde et la détermine. La société repose sur une pensée de l’exogène, de l’autre, du dehors. Même si cette pensée est critiquable, c’est un fait anthropologique, le social ne peut-être mondial, total et absolument inclusif.
Ainsi toute politique en faveur des minorités, les homos, le féminin, les jeunes, les migrants se fait forcément contre une autre minorité. Par exemple la journaliste Caroline Fourest qui est pro-homo, est aussi anti-musulman. Bref la société fonctionne comme une pièce de monnaie à deux faces et la démocratie est devenue un jeu tournant de normes, plutôt qu’un processus de vérité.


La politique est-elle encore possible aujourd’hui?
La politique repose sur l’espace, le territoire (organisation des espaces, conquête des espaces). Or aujourd’hui il n’y a plus d’espace entre les hommes, il n’y a plus la distance nécessaire, tout est saturé. Il n’y a plus d’espace vierge capable de motiver toute conquête. Par équivalence, le temps subit le même sort, tout allant si vite dans cette civilisation de l’information. Faut-il comme Deleuze, encore appeler territoire ce qui ne se déploie plus forcément dans un espace (espace du désir – espace abstrait) ? Et par conséquent, faut-il encore appeler politique ce qui ne repose plus sur les paramètres du territoire traditionnel ?


Lorsque Rancière dit : « L’ignorance reprochée au peuple est simplement son manque de foi », il pointe la coupure entre savoir et politique. Entre le savoir et la démocratie en particulier.
Or ce rapport entre démocratie et ignorance est aussi implicitement établi par ceux qui veulent substituer le vote au tirage au sort. Le tirage au sort déborde en effet tout savoir. En un certain sens, ne pas s’y connaître et l’ »ouvrir » en politique, comme le râleur qui klaxonne dans les bouchons est la posture du citoyen ‘normal’.

Les élections sont donc une formidable épreuve sociale qui consiste à éviter le pire sur la base de cette non-pensée, d’un savoir nul. Nul, parce que par nature, la démocratie ne s’engage pas sur les critères de la raison mais plutôt sur un ‘lâcher prise’. En ce sens, la démocratie produit un état religieux car s’en remettre au hasard (comme les grecs) ou à l’ignorance la plus crasse (citoyen), c’est perpétuer le divin dans les affaires communes. Il faut donc retourner la formule de Rancière, en ce sens que le peuple n’a jamais autant la foi lorsqu’il ignore.

Cela, les experts politiques et les technocrates ne le comprennent que par le mépris du peuple. Un mépris qu’il leur rend bien d’ailleurs. Pourtant voter en toute ignorance, c’est reconnaître à notre échelle les forces du hasard.
Le vote en tout inconscience est le plus honnête. Le devenir du vote, c’est le vote nul.
Aujourd’hui, c’est en y comprenant rien à l’Europe, à l’économie et aux lois du travail que l’on votera le mieux. Et si le citoyen ne croit pas aux élites, ni en la justice, c’est par une foi au mieux égale à son ignorance.

Il faut reconnaitre l’appel à la bêtise que la démocratie contemporaine met en œuvre chaque jour dans les médias comme un appel à la foi. Par sa capacité à neutraliser le discours, à produire un discours nul au sens sémantique du terme, Macron a su parler comme personne au peuple. Mélenchon, quant à lui est trop platonicien pour cela.
« L’insignifiance est pire que la bêtise » comme disait Deleuze. Alors il faut être bête, ‘savoir’ être bête et voter !

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